- FIRDOUSI
- FIRDOUSILe grand poète épique de la littérature persane est un de ces hommes qui viennent bien à leur temps. Du fond des âges, par oral, par écrit, la culture iranienne avait amassé quantité de matériaux divers, tels les mythes de l’Iran païen, l’histoire du monde vue par Zoroastre, les gestes princières des Scythes ou des Parthes, des chroniques, des romans et des ouvrages didactiques. Des compilations en avaient été faites jusqu’aux premiers siècles de l’Islam. Firdousi a recentré ces matériaux sur quelques idées essentielles à la culture iranienne; il l’a fait à une époque où la montée des Turcs à l’intérieur de l’empire musulman allait profondément remodeler la culture en Iran. Presque un siècle avant que n’apparaissent en France les premières chansons de geste, Firdousi a fixé dans une immense fresque toute cette culture, telle qu’elle était comprise de son temps. Sa langue n’a pas avec le persan contemporain la distance qu’il peut y avoir par exemple entre le roman et la langue française d’aujourd’hui; son grand poème a marqué profondément la littérature persane et il continue d’être accessible à tous, dans le texte ou dans les récits des conteurs populaires.Une vie difficile sur une terre aiméeCe que l’on sait de Firdousi est dans son œuvre, Le Livre des rois (Sh hn mè ). Ce poème «de 60 000 distiques», selon sa propre expression, est le travail de sa vie. D’une famille de propriétaires terriens établie dans le district de ヘ s (Khur s n), il faisait partie de cette classe aisée que le passage du pays à l’Islam avait peu ébranlée; elle assurait à sa façon, et pour un moment encore, la continuité culturelle avec l’Iran pré-islamique. Firdousi (ou Fird s 稜, Ferdowsi, Firdaws 稜) est le nom de poète qu’il s’est lui-même donné. Il naquit vers 940; il avait trente-huit ans, a-t-il écrit, quand Ma ムm d affirma son autorité militaire, en 977. Il acheva la première rédaction de son livre à l’âge de soixante et onze ans, en 1010 et, de son propre aveu, mit la dernière main à son œuvre à «près de quatre-vingts ans»; l’un de ses biographes donne l’année 411 de l’Hégire (1020-1021) comme date de sa mort. Il passa sa jeunesse dans la riche province du Khur s n, gouvernée par la dynastie des S m nides, qui, de Bokh r , avaient beaucoup fait pour le premier épanouissement des lettres persanes. Mais les Turcs prirent une grande importance dans les rangs de leurs armées et finirent par constituer une dynastie qui s’établit à Ghazna (Ghazn 稜, proche de Kaboul). En 999, le sultan Ma ムm d supplanta son frère et devint le prince le plus brillant de cette dynastie des Ghaznévides. Le Khor s n passa sous sa domination. Ce Turc iranisé répondit mal aux sollicitations du poète de ヘ s, qui lui dédiait son œuvre, pièce après pièce. Ses ressources n’y suffisant pas, Firdousi avait reçu l’aide de plusieurs personnages de sa contrée. Ces rétributions ne furent jamais à la dimension de l’œuvre, et Firdousi mourut dans la gêne après avoir fui la cour de Ghazna. La satire écrite contre Ma ムm d, qui semble authentique, est d’une grande amertume; le poète s’est senti victime d’un détracteur à cause de sa foi shi‘ite, dont il ne fit d’ailleurs pas mystère. Son poème n’était pas propre non plus à aider la politique du prince. Ni ワ m 稜 ‘Ar face="EU Updot" 勞 稜 visita sa tombe en 1116, ce qu’il est encore possible de faire aujourd’hui depuis Mashad, la ville voisine.Le passé recueilliFirdousi a parlé lui-même de ses sources. Il a rassemblé des documents épars qui dépendaient d’œuvres en pehlevi, la langue littéraire d’époque sassanide, pré-islamique; de celles-ci, à deux exceptions près, il ne nous reste que les titres, mais l’on sait en reconstituer la substance. En réalité, s’il est tout à fait vraisemblable que plusieurs textes lui soient venus directement d’époque ancienne, une grande part de sa documentation est passée par des traductions en arabe utilisées par des historiens des premiers siècles de l’Islam. Le texte le plus célèbre est le Khwat y-n mak (Livre des Rois ) traduit du pehlevi en arabe par Ibn al-Muqaffa‘ au VIIIe siècle, et tôt réaménagé, en particulier par des historiens des milieux syro-perses. D’autre part, on possède la Préface en persan d’un Sh hn mè perdu; elle nous apprend que ce livre en prose persane fut achevé en 957; sous la direction du vizir du gouverneur de ヘ s, Ab Mans r, quatre informateurs mazdéens en avaient procuré la matière. Deux poètes au moins ont travaillé sur ce texte de base avant Firdousi: Mas‘ d 稜 de Marv et Daq 稜q 稜. De ce dernier, Firdousi incorpora dans son texte l’histoire de la fondation du zoroastrisme, mise en vers d’un texte dont on garde la source pehlevie, Le Mémorial de Zar 勒r ; É. Benveniste a montré que ce mémorial était d’origine parthe. Firdousi eut également des informateurs iraniens de son temps qui gardaient la mémoire des gestes anciennes, tel le vieux z d-sarv, «qui possédait un livre des rois».Le mètre du Sh hn mè , le motaq reb (trois pieds d’une brève et deux longues et un d’une brève et d’une longue), est en réalité un cas de l’«assujettissement à la prosodie quantitative arabe» (É. Benveniste) du mètre syllabique iranien, ici l’hendécasyllabe. Iranienne aussi cette disposition du poème où chaque distique a sa rime propre. Le génie de Firdousi est dans l’élaboration de son matériau; on peut suivre les efforts de l’auteur et l’on a su reconstituer (Z. プaf ) les étapes de la composition du poème.Le mythe littéraire et l’histoireLe Sh hn mè noue trois cycles épiques en un récit continu: celui des rois d’Iran, celui des princes du Sist n à leur service et celui des ancêtres légendaires de la grande famille iranienne des Q ren. «Expliquer comment on en est là»: tel est le dessein du récit; «là», c’est l’Iran sassanide et zoroastrien, son espace, sa place parmi les nations, la légitimité de ses rois. D’anciens mythes, des légendes à fond historique et divers événements de l’histoire sont distribués dans le temps en des raccourcis surprenants et significatifs, de façon à satisfaire au besoin de l’explication. Le mythe littéraire et son cortège de faits extraordinaires et de fatalités magnifie les entreprises héroïques; mais la grandeur comme telle appartient aux nobles causes, à la royauté surtout, gloire de la nation et principe d’ordre. Les humains sont faibles, fantasques ou douloureux, l’orgueil les perd; le destin les domine. Le désir du renom est le ressort de leur héroïsme, en œuvre seulement à l’occasion des justes vengeances qui ramènent le monde à l’équilibre.L’ennemi, c’est d’abord ce frère de race séparé, Tour et ses descendants, derrière qui se profile le Mauvais, le D 稜v sournois et fuyant, assimilé finalement au Turc qu’il faut maintenir au-delà de l’Oxus. Le plus grand héros, Rostam, a des faiblesses à sa mesure. Ce prince du Sist n (du Sakast n, pays des Saka ou Scythes) était la figure centrale de légendes locales, rattachées par la suite au cycle de Guersh sp connu de l’Avesta. Il présente quelques ressemblances avec l’historique Gundafarr, le prince d’origine parthe qui régna sur le royaume sace au début de notre ère. Les nobles au service des rois ont des noms rappelant ceux de rois parthes qui reconstituèrent l’empire achéménide face aux Romains.En réalité, la matière épique du Sh hn mè a pris forme à l’époque parthe parmi les ménestrels (g 拏s n ) qui, à la cour et dans le peuple, chantaient le passé et commentaient le présent. Ce passé, c’était essentiellement la première grande monarchie purement aryenne de l’Iran oriental, les Kavis, dont on situe l’organisation à la fin du IIe millénaire avant J.-C. et dont le dernier roi fut le protecteur de Zoroastre. Les Achéménides sont passés sous silence, ils n’étaient pas zoroastriens. La partie la plus grandiose du Sh hn mè concerne ces Kavis. Elle est précédée par la légende de la tripartition du monde, qui reflète celle que voyaient de leur temps les Parthes-Arsacides. Avant tout cela, une dynastie gouvernait seule le monde; le nom de ses rois se retrouve aisément dans la tradition religieuse représentée par l’Avesta. Quand il aborde l’histoire des Sassanides, le Sh hn mè cesse d’être proprement une épopée. Les faits historiques se font plus précis; on y trouve de longs développements, politiques et moraux, caractéristiques de cette période et qui colorent l’ensemble de l’œuvre; il s’y mêle d’agréables narrations de contes populaires auxquels la vie des rois a donné matière. Dans les sources de rédaction dont Firdousi s’est servi, on a, pour des besoins didactiques, pratiqué des simplifications par calque de modèles de personnages: ainsi les rois sages se ressemblent tous; on a également éliminé des figures dont l’usure des traditions avait fait des doublets; on a généreusement procédé à des soudures dynastiques; on a iranisé Alexandre le Grand et assimilé le roman de ses aventures venu des Grecs. Ainsi le Sh hn mè est moins l’histoire des rois qu’un livre pour les rois et leurs sujets; il les encourage à la confiance en eux-mêmes et à la défiance envers le monde trompeur; il est un réservoir de leçons illustrées de modèles bons et mauvais. Comme Homère, Firdousi est un éducateur, qualité que Strabon reconnaissait déjà aux Perses pour des raisons semblables.La vérité de l’épopéeDans le miroir de l’épopée, l’histoire ne peut découvrir que son image déformée; l’épopée a sa vérité, on ne saurait lui reprocher l’anachronisme. Tout le Sh hn mè est habillé à la sassanide comme on habillait en gentilshommes les mages des tapisseries d’Occident. Firdousi ouvre son poème par une louange au Dieu unique, «Seigneur de l’âme et de la sagesse»; y fait suite un éloge de la sagesse, «le meilleur don de Dieu»; déjà, pour Zoroastre, la première Entité était le seigneur sage, Ahoura Mazd ; le modèle des rois sassanides sera le roi sage. Le récit épique débute avec l’histoire de Kayoumar face="EU Domacr" 龜. Dans la tradition avestique, ce Gayômart était devenu le premier des mortels, leur prototype. Ici, il est le premier roi, prototype des rois: ce qui lui arrive arrivera à tous les rois. Roi glorieux au printemps du monde, il a un fils qui lui ressemble, Siy mak, riche en talents et désirant le renom. Son seul ennemi est Ahriman, «Esprit mauvais», mauvais de nature et d’intention. Ce D 稜v a un fils haineux; il convoita le trône et tua Siy mak. Un ange poussa Kayoumar face="EU Domacr" 龜 à faire venger son fils; Siy mak avait un fils, Houshang, «tout intelligence et culture», qui, avec une armée de fauves, mit en pièces le D 稜v; la vengeance obtenue, Kayoumar face="EU Domacr" 龜 mourut. Voilà dessiné le modèle des cycles du Sh hn mè : la majesté royale et bienfaisante doit subir l’affront du Malin envieux; la vengeance est la seule réparation juste; la mort atteint même les rois. La première sagesse, qui ne s’acquiert qu’à l’expérience, est de savoir qu’ainsi va le monde. La solution est de fuir le monde en une mort devancée, comme fit Key Khosrow, «patron» de Chosroès le Sassanide.Firdousi a aimé décrire l’aventure humaine, il a aimé raconter des combats, suivre des drames de conscience, peindre des caractères; il a fait corps avec ces histoires d’antan «pour les rajeunir». Mais dès qu’il réfléchit, il ne trouve à ce monde «ni queue, ni tête»; il veut qu’on ne s’en chagrine pas et à tout moment il nous dicte une sagesse qui incite à la patience, sur la rive de ce flot qui roule.Pendant un siècle, Firdousi eut des imitateurs qui complétèrent son poème, puisant surtout aux légendes du Sist n. L’épopée nationale déclina ensuite parce que l’ensemble de la culture se détourna du passé. Mais sa marque sur la littérature persane fut définitive. On loua les hauts faits de princes sur le mode épique; certains épisodes furent transposés en épopées spirituelles, telle l’histoire de Key Khosrow par Sohravardi; la figure de Rostam fut transposée dans la littérature russe. Poète de la fin d’un temps, Firdousi fut en réalité un guide et une source pour de nombreuses générations.Firdousî ou FirdûsîV. Ferdousî.————————Ferdousî, Ferdûsî, Firdousî ou Firdûsî(v. 930 - 1020) poète persan, auteur de la célèbre épopée Châh-nâmè ("le Livre des rois").
Encyclopédie Universelle. 2012.